Victor Peltier
12 plus tard : quel bilan pour les printemps arabes ? (+ English version)
Le 25 juillet 2022, la Tunisie adopte une nouvelle constitution approuvée à 94,6% par la population. Mais cette constitution renforce surtout les pouvoirs du président tunisien, Kaïs Saïed, élu en 2019, et met fin à celle de 2014. Pour beaucoup, ce vote symbolise la fin de « l’exception démocratique du Maghreb ». La Tunisie, de par certaines de ses libertés et son parlement, se rapprochait le plus d’une démocratie parmi les autres pays du Maghreb et du Moyen-Orient (à l’exception d’Israël). Cela peut s’expliquer par le fait que, 11 ans auparavant, la région avait été touché par un vaste mouvement de protestations, nommé « printemps arabes » (références aux printemps des peuples, mouvement de protestation en Europe en 1848) et que la Tunisie avait été le point de départ de ce mouvement. Mais alors, 13 ans après le début des manifestations, quel bilan peut-on dresser des printemps arabes ? Comment peut-on expliquer l’évolution des évènements et le fait que ces manifestations, qui avaient toutes le même but, ont donné des résultats aussi hétéroclites ?
Le commencement des printemps arabes et leur propagation
Les printemps arabes ont débuté le 17 décembre 2010 en Tunisie, lorsqu’un vendeur s’est immolé afin de dénoncer les mauvaises conditions de vie ainsi que la pauvreté et l’autoritarisme du pays. Suite à cet évènement, le pays a été emporté par une vague de manifestations qui conduiront à la démission du président Ben Ali le 14 janvier 2011. Suite au succès de ces manifestations qui ont réussi à renverser un président installé depuis plusieurs années, ce mouvement de contestation se propagera dans toute la région, du Maroc au Bahreïn en passant par la Syrie et le Yémen. Le mouvement a d’abord suscité un espoir de changement durable dans le monde arabe grâce à plusieurs succès : en Tunisie d’abord, mais aussi en Égypte où les manifestations conduiront à la démission du président en février 2011. Une situation similaire se produira au Yémen avec des manifestations qui conduiront à la démission du président.
En Libye, les manifestations sont sévèrement réprimées par le général Kadhafi. L’ONU finira par intervenir en affichant l’objectif de protection de la population, mettra fin au régime de Kadhafi et aidera dans la création d’un gouvernement provisoire. D’autres pays, voyant les résultats des manifestations dans les autres pays, ont entamé des réformes afin de calmer la population comme l’ont fait le Maroc ou l’Arabie Saoudite. Des changements qui réussiront à calmer les manifestations et qui permettront donc aux régimes de rester en place même si ces modifications seront en réalité assez minces. Enfin, certains pays ont étouffé violemment les manifestations, notamment le Bahreïn qui a réprimé toute contestation principalement grâce à l’aide de son allié saoudien. L’Arabie Saoudite a agi ainsi pour éviter une propagation de l’influence iranienne, la population du Bahreïn étant majoritairement chiite, comme l’Iran, alors que la monarchie au pouvoir est sunnite, comme en Arabie Saoudite. En Syrie, les manifestations seront aussi violemment réprimées, mais l’ONU n’interviendra pas cette fois, la Russie mettant son veto à chaque intervention car Bachar el-Assad, le dirigeant syrien, est un allié de Moscou.

Manifestation en Égypte demandant la démission du président
La suite des printemps arabes : de l’espoir de démocratisation à la guerre et la répression
Les printemps arabes, malgré ces quelques succès précoces, ont surtout comme conséquence le déclenchement de guerres civiles ou sont marqués par un retour à l’autoritarisme. En Libye et au Yémen, bien que les manifestations réussissent dans un premier temps à faire tomber les responsables du pays, ces manifestations se muent rapidement en violentes guerres civiles qui, aujourd’hui encore, ne sont pas terminées. Les deux pays traversent encore une grave crise humanitaire. En effet, dans les deux cas, plusieurs groupes se sont unis pour faire tomber le gouvernement présent, mais le vide en résultant a conduit à une lutte entre ces différents camps pour le pouvoir laissant les deux pays dans une situation de violente guerre civile. Dans le même ordre d’idée, il y aussi le cas de la Syrie où les manifestations déboucheront aussi sur une guerre civile. La différence avec les deux pays précédents est que Bachar el-Assad est toujours au pouvoir et n’a pas quitté ses fonctions. La guerre civile syrienne est donc un conflit entre le gouvernement et des rebelles et non une guerre entre plusieurs groupes armés voulant le pouvoir. Il faut malgré tout souligner dans ces trois cas l’ingérence de puissances étrangères. Dans le cas de la Libye, deux camps s’affrontent actuellement, chacun soutenu par des acteurs différents comme la Turquie ou la Russie. Concernant le Yémen, l’Arabie Saoudite et l’Iran s’y livrent une guerre d’influence en soutenant chacun un camp différent voir même en intervenant directement comme l’a fait l’Arabie Saoudite en 2016.
Les deux seuls pays qui semblent avoir véritablement profité des printemps arabes sont l’Égypte et la Tunisie, les autres ayant basculé dans la guerre civile ou réussi à conserver le même régime. Cependant, la réussite de ces deux pays ne sera que de courte durée. L’Égypte a démocratiquement élu un président en 2012, membre des Frères musulmans, un mouvement politique islamiste. Ce succès de ce parti controversé peut s’expliquer par le rôle actif joué par les islamistes pendant les manifestations de février 2011. Le soutien du Qatar et de la Turquie au mouvement islamiste est un autre élément qui permet d’expliquer leur succès. Cependant, le président égyptien décide fin 2012 l’adoption d’une constitution controversée qui poussera la population égyptienne à descendre dans les rues pour protester. Finalement, l’armée le destituera en 2013 et le général Al-Sissi prendra le pouvoir. Ce coup d'État a aussi été influencé par des puissances étrangères, notamment l’Arabie Saoudite qui a soutenu l’armée afin de destituer les Frères musulmans du pouvoir. Concernant la Tunisie, celle-ci réussira à se démocratiser notamment en adoptant une nouvelle constitution en 2014. Mais finalement en 2022, le président Kaïs Saïd fera adopter une nouvelle constitution lui donnant les pleins pouvoirs et mettant donc fin à la démocratisation du pays. Dès lors, cela sonnerait définitivement la fin des printemps arabes avec l’échec final du seul pays qui semblait avoir réussi sa transition démocratique.

La guerre civile en Syrie toujours en cours
Conclusion
A première vue, les printemps arabes n’ont finalement permis à aucun peuple de pouvoir imposer une réelle transition démocratique dans leur pays. Les populations n’étaient pas assez préparées à l’avenir après la chute des régimes ou n’étaient unies que par un ennemi commun. De plus, les pays sont tombés dans de violentes guerres civiles décrites comme des catastrophes humanitaires et ont forcé de nombreuses personnes à fuir. Cela induit le maintien des régimes autoritaires qui doivent faire face à de sévères problèmes économiques et de fortes inégalités. On peut même voir que les printemps arabes ont, d’une certaine manière, servi certaines puissances étrangères qui ont profité du contexte particulier des printemps arabes pour soutenir certains camps et ainsi renforcer leur influence dans la région. La combinaison de tous ces facteurs explique que les printemps arabes n'aient pas réussi à déboucher sur la démocratisation voulue. Le fait que la Tunisie ait, sous un certain angle, basculé dans l’autoritarisme, montre bien que la démocratisation du Maghreb reste encore à faire. Cependant, il faut souligner que ce mouvement de contestation a non seulement montré la volonté de changement de ces peuples, mais a aussi permis de transmettre à une nouvelle génération l’envie de lutter pour leur droit et pour l’avenir de leur pays grâce notamment aux réseaux sociaux. Il est donc possible d’envisager qu’à long terme, les printemps arabes seront marqués par une deuxième vague de manifestations qui entraînera des changements plus durables.
Sources
https://www.amnesty.be/infos/actualites/article/printemps-arabe-repression-raison-militantisme
English translation by Victor Peltier
Twelve years later: what results for the Arab’s spring?
On July 2022, the 22nd, Tunisia adopted a new constitution approved by 94,96% of the population. But this constitution reinforces the power of the Tunisian president, Kaïs Saïed, who was elected in 2019 and set an end to the old one of 2014. For people, this vote shows the end of the ‘democratic exception within the Middle-east”. Tunisia, thanks to its liberties and its parliament was the closest country to democracy in the region (except for Israel). That can be explained by the fact that, 11 years ago, the area knew a big movement of protests, named ‘Arab’s spring’ (the name is a reference to the ‘people’s spring’, a movement of protest that happened in Europe in 1848) and Tunisia was the place where those protests began. Then, 13 years after the beginning of the protests, what results can we see from the Arab spring? How can those events have evolved so differently in each country meanwhile all protests had the same objectives at the beginning?
The beginning of the Arab Spring and their spread
The Arab spring began on December 2010, the 17th in Tunisia, when a seller burn himself to denounce the bad conditions of living, the poverty, and the authoritarianism of the country. After that event, the country knew several big protests that led to the demission of president Ben Ali on January 2011. Thanks to this success, the movement started to spread to other countries in the area: from Morocco to Bahrein, with also Syria and Yemen. The movement first created hope for changes that could stay with time in the Arab world thanks to several successes: first in Tunisia, but also in Egypt where the protests were also successful with the demission of the Egyptian leader on February 2011 or in Yemen.
In Libya, the protestations are violently repressed by general Khadhafi. The UN intervened first to protect the population but, in the end, helped to dismiss Khadhafi and to create a provisional government. Some other countries, seeing the results of the protests among the neighboring countries started reforms to calm the population. That’s what Morocco or Saudi Arabia did. Changes that managed to calm the protests so the government could stay in power even though the modifications weren’t so important. Finally, some countries chose to use violence against people till the end of the protests. That’s what Bahrein did who repressed every kind of contestation, especially thanks to the help of its Saudi ally. Saudi Arabia did so to avoid an increase in Iranian influence, the Bahrein population being mainly Shiite, such as Iran, and the monarchy in the country is suniite, as Saudi Arabia. In Syria, the protests were also brutally repressed without intervention from other countries this time because Russia used its veto on every decision of the UN because Bachar el-Assad, the Syrian leader, is an ally of Moscow.
After the first protests: from the hope of democratization to war and the comeback of authoritarianism
Arab’s sprig, despite its first success, is infamous for being the cause of the civil war or leading to a comeback of authoritarianism. In Libya and Yemen, even if the protests succeeded at the beginning to dismiss the people in power, the situation evolved quickly into civil wars that are still not over today. Indeed, in both cases, several groups united to fight against one common government, but the void left after the fall of the common enemy led to a war between the different camps to have power, the two countries are currently divided and living in a violent civil war. This is also the case is Syria, where protests also evolved into a civil war. The difference between the two other countries is that Bachar el-Assad has still the power and didn’t quit his functions, unlike the two other leaders. The Syrian civil war is a conflict between the government and rebel forces (there are other actors in the conflict such as terrorist forces) and not a war between several armed groups that want power such as in Libya or Yemen. However, to fully understand the situation, it’s important to notice the interference of foreign countries. In the case of Libya, two main groups are fighting, and each one is supported by different countries like Russia or Turkey. Yemen, Saudi Arabia, and Iran are doing a war of influence by supporting different groups or even by interfering directly with armed forces as Saudi Arabia did in 2016.
The only two countries where the Arab spring where useful seemed to be Egypt and Tunisia, the other being into a civil war or having to keep the same regime. However, the success of the two countries didn’t last very long. Egyptian population elected democratically in 2012 a president, a member of the party ‘Muslim brotherhood” a political Islamist organization. The success of this controversial party can be explained by the actions made by the party during the protests of 2011. The support of Qatar and Turkey for the organization is another reason that can explain this election. However, this new president decided in December 2012 the adoption of a new controversial constitution that pushed the population onto the streets. Finally, the army dismissed the president and put general Al-Sissy as the head of the country instead. This coup was also influenced by other countries, especially Saudi Arabia which supported the army against the Muslim Brotherhood. Tunisia will succeed to become a democracy by having a new constitution in 2014. But finally, in 2022, president Kaïs Saïd proposed a new constitution that was accepted and gave to him all powers, putting an end to the democratization of the country. Since then, it seems that this is the end of the Arab spring with the final failure of the only country which seemed to succeed in its democratic transition.
Conclusion
At first impression, the protests didn’t lead any country to democracy. Populations weren’t enough prepared for the future after the fall of the government or were united only thanks to a common enemy. Furthermore, after the protests, several countries are in a state of civil war described as a humanitarian catastrophe, and populations are forced to leave. Other countries are still authoritarian regimes with economic problems and strong inequalities. We can even say that the protests were useful, in a certain way, for some countries that used this specific context to expand their influences by supporting some side. The combination of all those elements explains the results of the Arab Spring and their failure to create a democracy in the area. The fact that Tunisia fell back in a certain way into authoritarianism illustrates that the democratization of the Arab world is still a thing to do. However, we must notice that the protests showed the wish of those populations to change things in their countries and transmitted to next generations the desire to fight for freedom and their rights thanks to social media. It is possible to think that the Arab Spring may have a second wave of protests that will create changes that will stay longer.