Basculement du centre géostratégique de L'Europe vers la région indopacifique
Le 15 septembre 2021 la France tombe de haut à la suite de l’annulation par l’Australie de la commande de douze sous-marins français au profit des États-Unis et du Royaume-Uni. Bien que cela témoigne d’un affaiblissement de la France sur la scène internationale cet évènement révèle davantage le basculement de l’Europe vers la zone indopacifique en matière d’intérêt géostratégique.
Ce basculement est le fruit d’un long processus qui s’est accéléré depuis la chute de l’URSS et l’émergence des BRICS ainsi que d’autres puissances économiques extra-occidentales. On pense notamment à la Chine. En effet, la désindustrialisation des pays européens les rend très dépendants vis-à-vis des pays émergents et la pandémie a montré la fragilité des chaînes d’approvisionnements, qui lorsqu’elles ont cessé de fonctionner ont donné lieu à des pénuries (les semi-conducteurs par exemple). De plus, l’exploitation des matières ne se fait pratiquement plus en Europe et la majorité de ces ressources sont à trouver ailleurs que ce soit en Asie, en Afrique, au Moyen-Orient ou en Amérique du Sud. Enfin, l’Asie est le plus grand carrefour commercial du monde ; en 2021 parmi les 50 plus grands ports commerciaux du monde 29 étaient chinois, 4 coréens, 1 singapourien, 1 malaisien et 1 japonais. Par conséquent cela a redistribué les cartes en matière géopolitique et géostratégique. D’une part les pays occidentaux ont dû changer leur stratégie et redéfinir leurs relations diplomatiques avec ces pays et d’autre part les pays émergents ont su s’imposer sur l’échiquier international.
Toutefois, même s’il y a interdépendance entre pays occidentaux et pays asiatiques, cela a également entraîné des frictions. L’Australie craint depuis longtemps l’influence croissante chinoise et cherche à s’en prémunir par tous les moyens. C’est pourquoi ils ont choisi de saboter le contrat avec Naval Group. En effet, à la suite de ce retournement de situation l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis ont formé une alliance intitulée AUKUS qui permet une coopération dans les domaines de l’armement, du cyberespace, du quantique et de l’hypersonique. Cette alliance est le reflet de la stratégie impulsée par Donald Trump et poursuivie par Joe Biden qui fait de la Chine le principal rival et qui cherche par tous les moyens à contenir son l’influence. Une autre alliance militaire informelle est également en vigueur dans la région : il s’agit du Quad qui réunit l’Inde, le Japon, l’Australie et les États-Unis. Cette alliance permet l’organisation d’exercices militaires annuels dans la région. La stratégie des États-Unis est claire : il faut isoler la Chine et il n’est pas étonnant que tous ces pays se joignent aux États-Unis car ils ont tous de sérieux différends avec Pékin. Mais la Chine de son côté multiplie, elle aussi, les manœuvres militaires que ce soit en mer de Chine ou au-dessus des cieux taïwanais. Car voilà un des enjeux majeurs du Pacifique : Taïwan, une petite île comparée à l’ogre chinois mais qui est sous protectorat américain depuis 1979 avec le Taiwan Relations Act et qui revêt un enjeu géopolitique majeur. D’abord parce que c’est un important producteur dans le domaine de l’électronique avec notamment les fameux semi-conducteurs mais aussi parce que c’est un symbole dans le différend qui oppose les deux superpuissances.
Néanmoins, les tensions à l’œuvre entre les deux superpuissances que sont les États-Unis et la Chine ne doivent pas occulter les autres pays de la région dans notre analyse. En effet, les pays asiatiques sont à des stades de développement différents mais ont chacun de grandes forces qui peuvent à l’avenir leur permettre d’étendre leur influence et cela a déjà commencé, que ce soit militairement, avec des puissances comme la Corée capables de fournir d’autres pays en armement et de disposer d’une armée non négligeable, ou en matière de soft power à travers le cinéma, les grandes entreprises, le tourisme etc. Mais la puissance montante la plus à surveiller et trop souvent occultée est l’Inde car elle dispose d’une des plus grandes démographies du monde, d’un système éducatif très efficace, d’une armée et d’un poids politique qui ne cessent de se renforcer et enfin d’une économie très puissante. Certains défis qu’elle n’a pas encore surmontés l’empêche d’atteindre le rang de superpuissance mais ce n’est probablement qu’une question de temps avant qu’il en soit autrement.
La position de l’Europe a aujourd’hui beaucoup évolué car même si elle a mis du temps pour se rendre compte de ces bouleversements elle a redéfini ses priorités ainsi que ses relations avec cette zone géographique et elle ne s’est pas toujours alignée avec les États-Unis. On pense notamment à l’accord global sur les investissements conclu en 2020 entre l’Union européenne et la Chine. Cet accord vise à faciliter les investissements en Chine dans les secteurs manufacturiers, dans la télécommunication ou encore dans les services financiers. En réalité l’Europe ne considère plus l’Asie et surtout l’Asie de l’Est comme des pays en développement mais bien comme des rivaux. Toutefois, le retour de la guerre en Europe masque ce basculement car le gouvernement de Joe Biden en a fait une de ses priorités en matière de politique étrangère et parce qu’il y a un émoi relativement généralisé sur cette question en Europe. Mais sur le long-terme cela ne fera que précipiter cette mutation car l’Europe en ressort affaiblie tandis que les autres pays et notamment les pays asiatiques regarde ça plutôt de loin et sont prêts à saisir les opportunités de cette crise. Car l’UE comme la Russie ont dû chacun de leur côté trouver d’autres partenaires économiques pour pallier les effets de la guerre en Ukraine. La Russie cherche à se rapprocher de la Chine tandis que l’UE doit sécuriser ses approvisionnements notamment dans le domaine de l’énergie.
Une fois ce constat dressé il faut se demander quel rôle peut jouer l’Europe et notamment la France en Asie. Car si le constat est sans appel il faut toutefois le nuancer. L’UE reste le plus grand bloc commercial du monde, c’est aussi le plus gros exportateur de biens manufacturés et de services et c’est le premier marché d’importation pour plus de 100 pays. Enfin, la France peut légitimer sa présence dans la zone indopacifique par le biais de la Nouvelle-Calédonie qui est sans doute un des territoires avec le plus grand intérêt stratégique pour la France et l’UE, grâce à sa base navale et militaire et sa ZEE (Zone économique exclusive) qui est estimée à 1 450 000 kilomètres carrés. On comprend donc d’autant plus l’importance qu’a revêtu le referendum sur l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie en décembre 2021.
Bibliographie :
http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/quad-dialogue-quadrilateral-pour-la-securite
https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_plus_grands_ports