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  • Writer's pictureVictor Peltier

Iran et Arabie Saoudite : vers une fin de la guerre froide moyen-orientale ?

Vendredi 10 mars 2023, l’Iran et l’Arabie Saoudite ont annoncé un rétablissement de liens diplomatiques alors que ces derniers avaient rompu toute relation depuis 2016. Les deux pays ont ainsi affirmé que les ambassades de chacun des deux seraient réouvertes dans moins de deux mois. Cette annonce est un changement majeur non seulement pour la région du Moyen-Orient mais aussi pour la géopolitique mondiale : les deux grandes puissances moyen-orientales, qui luttent depuis plusieurs années pour s’imposer au détriment de l’autre, que beaucoup de choses opposent, notamment l’affiliation religieuse et les alliés géopolitiques, décident de reprendre le dialogue. Outre les changements majeurs que cet accord pourrait apporter au Moyen-Orient, notamment au Yémen où une violente guerre civile a lieu, il faut aussi noter que cette annonce démontre l’influence grandissante de Pékin dans la région et le recul progressif des États-Unis malgré leur rôle prépondérant depuis 1945 au Moyen-Orient. En effet cet accord a été négocié avec un arbitrage de Pékin tandis que les États-Unis ont toujours eu du mal à dialoguer avec l’Iran et encore plus à parvenir à faire négocier les deux puissances antagonistes du Moyen-Orient.


Ali Shamkhani du Conseil de sécurité iranien et Mohammed Al-Aiban, conseiller de la sécurité saoudienne après la signature de l’accord de normalisation des relations de leurs deux pays

Les causes du conflit


Au début de la guerre froide, les deux pays entretenaient de bonnes relations, et pour cause les deux étaient dans le même camp, à savoir celui des États-Unis. Les deux pays partageaient même plusieurs similarités outre cette présence dans le même camp. Les deux étaient des monarchies pétrolières. De plus, les deux ont fait partie des membres fondateurs de l’OPEP, les forçant ainsi à collaborer sur le plan économique. Malgré cela, une certaine rivalité existait déjà entre les deux. L’Iran et l’Arabie Saoudite voulait s’imposer comme la puissance influente du Moyen-Orient et également pouvoir bénéficier d’un meilleur appui de Washington tant économique, avec l’achat de pétrole, que militaire. Mais cette relation connaîtra un basculement en 1979, lors de la révolution iranienne qui force le chah d’Iran à s’exiler et transforme l’Iran en une république islamiste. Cela changera profondément sa place géopolitique : violemment opposé aux États-Unis, et encourageant la propagation de sa révolution dans les autres pays du Moyen-Orient. De même, le pays deviendra alors chiite (une branche de l’Islam) alors que tous les autres pays du Moyen-Orient étaient sunnites (à l’exception de la Syrie). Suite à cette révolution, l’Arabie Saoudite soutiendra l’Irak durant la guerre entre l’Iran et l’Irak qui se déroulera entre 1980 et 1988, de plus, la monarchie décidera de rompre une première fois ses relations diplomatiques avec l’Iran de 1988 à 1991.Certaines tentatives de réchauffement des relations entre les deux Etats peuvent être observées tout au long des années 90 avec des visites de certains présidents iranien en Arabie Saoudite. L’Iran étant à ce moment victime d’un isolement aussi bien diplomatique qu’économique dû en partie à l’embargo décrété par les États-Unis en 1979 suite à la prise d’otages dans l’ambassade américaine pendant la révolution et renforcé en 1995. De plus, la révolution avait poussé la plupart des États du Moyen-Orient à prendre leurs distances avec l’Iran de peur de voir se propager des révolutions du même genre notamment dans les pétromonarchies. Ces évènements ont permis à l’Arabie Saoudite de se distinguer par rapport à son rival historique : la pétromonarchie était devenue la puissance influente de la région.



La guerre froide du Moyen-Orient


L’influence iranienne se renforce de nouveau après l’intervention militaire en Irak en 2003 avec l’apparition de ce qui est appelé le « croissant chiite ». Ce terme désigne un groupe de pays ou de groupes chiites qui sont soutenus par l’Iran. On compte dedans l’Irak, la Syrie, le Hezbollah libanais, un groupe politique mais ayant également été impliqué dans des attaques terroristes, le Hamas palestinien et les rebelles Houtis au Yémen. Cette montée en puissance de l’influence iranienne peut s’expliquer par le fait que les interventions américaines en Afghanistan et en Irak laisseront une image très négative des États-Unis dans la région. Or l’Iran s’était toujours présenté comme ennemi des États-Unis, lui donnant une certaine crédibilité dans la région au détriment de l’Arabie Saoudite, allié historique américain. Mais également, dans le cas de la Syrie et des groupes libanais et yéménites, ces acteurs manquaient de soutien et se sont donc tournés vers l’une des rares puissances qui acceptait de les aider notamment grâce à ses ventes de pétroles malgré l’embargo occidental : l’Iran. Dans le cas de l’Irak, l’intervention américaine donnera lieu à un changement de régime, passant d’une monarchie à une démocratie. Mais ce changement créera un vide politique au sein du pays, vide dont l’Iran tirera parti pour y développer son influence.


Les printemps arabes seront une nouvelle occasion pour l’Iran de développer son influence : pendant la vague de révolution de 2011, l’Iran soutiendra la plupart des manifestations. Voir même des nouveaux régimes comme ce fut le cas en Égypte avec l’ascension des Frères musulmans. La seule exception sera la Syrie, le dirigeant Bachar el-Assad étant lui aussi chiite, l’Iran le soutiendra et le soutient toujours dans la guerre civile. Cependant, face à cette résurgence de l’Iran, l’Arabie Saoudite n’est pas restée inactive : pendant les printemps arabes, la pétromonarchie a non seulement maté les manifestations qui avaient lieu sur son territoire, mais a également apporté son soutien à d’autres pays pour mettre fin aux manifestations, notamment au Bahreïn mais aussi en Égypte où l’Arabie Saoudite a soutenu le coup d’état du général Al-Sissi en 2013 contre le président membre des frères musulmans. Plus récemment, l’Arabie Saoudite a également soutenu des groupes terroristes en Irak et en Syrie, donc contre des régimes chiites soutenus par l’Iran. Cependant, le cas le plus flagrant de cet antagonisme entre les deux puissances du Moyen-Orient reste le Yémen : le pays est en proie à une violente guerre civile depuis 2014. Dans cette guerre, l’Iran soutient les rebelles houthis, une branche du chiisme, tandis que l’Arabie Saoudite soutient le pouvoir en placecomme cela a pu se voir en 2011 lorsque la pétromonarchie a accordé l’exil au président yéménite. De plus, l’Arabie Saoudite est déjà intervenue militairement plusieurs fois au Yémen pour lutter directement face au houthis sans jamais parvenir à mettre fin à la guerre. Plus récemment, l’Arabie Saoudite s’est attaquée plus frontalement à l’Iran que ce soit en 2016 lorsque les deux pays ont rompu leurs liens ou en 2017, lorsque la pétromonarchie et plusieurs de ses alliés comme les Émirats arabes unis ont rompu leurs relations diplomatiques avec le Qatar jusqu’en 2021, ce dernier étant jugé trop proche de l’Iran.


Troupes arabes présente au Yémen afin de lutter contre les rebelles Houthis


L’accord de normalisation : quelle conséquence pour la géopolitique régionale et mondiale ?


Cependant, une annonce récente de la normalisation des relations entre l’Iran et l’Arabie Saoudite a eu lieu, le tout fait sous l’égide de la Chine qui s’est placée en tant que médiatrice dans les négociations. Cet accord sert aussi à la Chine qui peut se montrer comme une puissance alternative à la présence américaine, très présente depuis le début de la guerre froide, et encore plus depuis les attentats du 11 septembre 2001 et l’intervention américaine en Irak de 2003. Les États-Unis, qui avait commencé à se désintéresser de la région dès 2011 avec le « pivot stratégique vers le pacifique » annoncé par Obamaainsi que le retrait des troupes américaines de plusieurs pays comme l’Irak, la Syrie ou plus récemment l’Afghanistan, voient donc leur influence se réduire, chose dont a profité la Chine. Si celle-ci était déjà un acteur important pour certains pays, dont l’Iran car étant l’une des rares à lui acheter des ressources, cet accord lui permet de s’instaurer comme véritable puissance influente du Moyen-Orient même pour des pays historiquement alliés des États-Unis. Pékin n’est alors plus qu’un simple client des pays pétroliers de la région mais véritablement un partenaire alternatif à Washington en profitant du vide laissé par ce dernier. De plus, cet accord permet à la Chine de promouvoir son rôle dans la paix mondiale, chose qu’elle avait déjà essayé auparavant avec ces récentes tentatives de médiation entre la Russie et l’Ukraine à l’occasion du premier anniversaire de l’invasion russe.


Cet accord est également problématique pour Israël : l'État hébreu n’avait pendant de nombreuses années aucun rapport diplomatique avec les pays musulmans, ces derniers soutenant la cause palestinienne. Cependant, les choses étaient en train de changer ces dernières années, plusieurs états arabes comme la Turquie, le Maroc ou les Émirats arabes unis avait reconnu officiellement l’existence d’Israël et commencé à entretenir des relations diplomatiques avec. Israël espérait que cette tendance pousserait l’Arabie Saoudite à normaliser aussi ses relations avec lui. Ce rapprochement avec l’Iran est problématique car ce dernier est aujourd’hui l’un des pays les plus opposés à Israël. Si l'État hébreu bénéficie toujours du soutien américain, cet éloignement d’un autre allié américain ainsi que certaines tensions dues à la politique de Benjamin Netanyahou, nouveau premier ministre israélien, peut laisser penser qu’Israël risque de connaître des troubles diplomatiques à l’avenir. Enfin cet accord apparaît comme un espoir pour instaurer une paix durable au Yémen. Le fait que les deux puissances les plus influentes dans ce conflit commencent à se rapprocher de nouveau pourrait permettre d’instaurer la paix. Cependant, le Yémen apparaît aussi comme l’un des points les plus épineux dans la normalisation des relations irano-arabes : les deux soutiennent des camps opposés et seront peut-être peu enclins à faire des concessions et donc auront du mal à trouver un terrain d’entente. De plus, cet accord pourrait aussi permettre d'autres déblocages dans la région avec par exemple un rapprochement entre la Syrie et l’Arabie Saoudite. Mais les récentes déclarations d’un diplomate saoudien affirmant que la politique arabe ne changera pas au Liban montre bien que cet accord n’apportera pas nécessairement tous les changements espérés au Moyen-Orient. Il faut également prendre en compte le fait qu’Ali Shamkhani, Secrétaire du Conseil de sécurité iranien et architecte du récent accord est de plus en plus contesté au sein du gouvernement iranien. Son renvoi est donc possible et pourrait conduire à une nouvelle rupture des relations entre les deux grandes puissances du Moyen-Orient.



Conclusion


Cet accord entre l’Arabie Saoudite et l’Iran représente donc un changement majeur dans la région non seulement pour les pays qui y sont avec des espoirs de paix ou au moins de rapprochement avec d’autres pays, mais aussi pour les puissances étrangères qui voient l’affirmation de la Chine dans une région où les États-Unis étaient omniprésents depuis 1945 malgré un certain désengagement ces dernières années. Il faut cependant garder à l’esprit que cet apaisement entre l’Iran et l’Arabie Saoudite reste fragile et les points potentiels de discorde nombreux. Des tentatives similaires avaient déjà eu lieu entre les deux pays en 1999 et en 2001 dans un contexte plus favorable mais n’avaient malgré tout abouti à rien. Ainsi, cet accord apparaît plus comme une étape vers un changement radical qu’un véritable changement en lui-même. L’accord aura malgré tout permis à la Chine de montrer son influence au Moyen-Orient face aux États-Unis, elle apparaît donc comme la seule victorieuse actuelle de ce rapprochement.



Sources


https://www.lesechos.fr/finance-marches/banque-assurances/financement-du-terrorisme-larabie-saoudite-dans-le-viseur-de-bruxelles-960219

https://www.islamicity.org/82163/iran-saudi-arabia-what-does-this-historic-agreement-mean/

https://www.lemonde.fr/international/article/2023/03/11/pekin-nouvel-acteur-politique-au-moyen-orient_6165064_3210.html

https://www.lorientlejour.com/article/1331460/malgre-laccord-avec-teheran-riyad-maintient-son-veto-sur-frangie.html

https://www.courrierinternational.com/article/geopolitique-quels-sont-les-enjeux-de-la-normalisation-des-relations-iran-arabie-saoudite




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