Joachim Viallon
Bertrand Badie : la géopolitique est morte, vive le social.
Updated: Dec 26, 2021
Author: Joachim Viallon
Invitation à repenser le monde, sur la base de la pensée de Monsieur Bertrand Badie dans son livre Inter-socialités : le monde n’est plus géopolitique, 2020.
Introduction
Il s’agira dans cet article, dans un premier temps, de décrire sobrement la pensée de Monsieur Bertrand Badie, pour ensuite se questionner sur les enseignements qu’il est possible pour nous d’en tirer. En effet, selon Monsieur Badie, le politique se trouve aujourd’hui désarmé face au social, qui occupe une place de premier plan sur la scène internationale.
Inter-socialités : le monde n’est plus géopolitique

Bertrand Badie, professeur émérite à Science Po expose ici la perte progressive du pouvoir "dur", celui des dirigeants, face au pouvoir “mou“ celui du social, jusqu'à un point de non-retour atteint lors de l’année 2019.
Au printemps de 2019, le monde fut secoué par pléthore de mouvements sociaux à travers le monde : Alger, Hong-Kong, Paris, Bagdad, La Paz, Santiago, et ainsi de suite. Il est intéressant de constater que ces protestations touchaient des régions très hétéroclites, par leurs cultures et problèmes, et semblaient pourtant porter un sentiment commun d'agacement. Ainsi, alors que le politique se caractérise par son instabilité grandissante à travers le monde, le social s’est doté lui d’une certaine force dont le mécontentement gronde aux quatre coins du globe. Ainsi, dans les rues d’Alger, de Beyrouth et de Paris, la volonté d’un changement de “système” s'est faite violemment entendre.
Mais que peuvent faire les décideurs du monde contemporain lorsque les populations qu'ils gouvernent et contrôlent réclament une mutation complète du système qu’ils incarnent eux-mêmes ?
Aussi le social est-il en train d’écrire une nouvelle page de l’histoire à l’aube du 21e siècle globalisé, en lieu et place de ses dirigeants et institutions internationales. Cette dynamique fut d'ailleurs confirmée par la pandémie qui a agi comme un catalyseur de ces inter-socialités. Dans son livre, Bertrand Badie appelle présente donc la mutation d’un monde jusqu'alors dirigé par les relations internationales, vers un monde impulsé par les relations inter-sociales. Selon lui, alors que le social était perçu bien plus comme une variable géopolitique qu’un réel vecteur de changement, les inter-socialités renvoient "la géopolitique à son simplisme d’antan, désormais combinée à une naïve désuétude”. La géopolitique est-elle tout de même si poussiéreuse que cela ?
Si cela peut se discuter, il apparaît manifestement que le temps du monde bipolaire ou unipolaire est révolu. L’hégémonie des puissances traditionnelles se trouve mise à mal, car ses deux principales armes que sont la diplomatie et la guerre ne s’ancrent plus dans la réalité du monde contemporain, animé d’un tissu autonome d’une grande complexité dont les acteurs (souvent) non étatiques sont de natures et d’échelles complètement différentes. La plupart des conflits actuels ne sont pas la résultante de choc d'armées conventionnelles et de jeu de puissances internationaux, mais la conséquence de crises sociales (tensions ethniques, sous-nutrition, fortes inégalités etc.).
Toutefois, Monsieur Badie ne manque pas de souligner la principale faiblesse de ces mouvements issus de l'inter-socialité, qui est leur manque de consistance commune. Chacun de ces mouvements réclame une chose différente, ils sont tout autant motivés par des intérêts privés et égoïstes que par une réelle et sincère volonté de changer le monde.
Leur réel point commun réside en leur impact sur l’évolution et le fonctionnement du monde, qui se trouve bouleversé après des siècles de relations internationales façonnées par les jeux de puissances des forces traditionnelles. Les relations inter-sociales ne permettent pas pour autant la création d’un nouvel ordre mondial, car ne prétendent pas hiérarchiser ou ordonner, mais elles s’inscrivent encore dans la contestation. Elles nous poussent à adopter une nouvelle lecture du monde et de ses enjeux.
Que conclure de cette lecture du monde contemporain ?
Le livre se ferme en s’interrogeant sur le futur du multilatéralisme social : restera-t-il une lettre morte utopique ou s'installera-t-il comme une nouvelle pratique ? En fait, il apparaît que c’est aux prochaines générations d’en décider.
Les politiques et chefs d’entreprises prennent petit à petit la mesure des changements du monde et essaient de donner de plus en plus de place à ces derniers. Le convention citoyenne mise en place par le président français en fonction Emmanuel Macron illustre cette très douce prise de conscience du politique. Toutefois, les décideurs restent soumis à des impératifs de croissance et de puissance qui tiennent surtout de la survie sur la scène internationale, et figent cette dernière sur des modèles vieillissants et fortement contestés.
La scène inter-sociale présentée par monsieur Badie semble laisser espérer un autre futur, qui tiendrait compte d’enjeux prioritaires, tels que les inégalités sociales et le dérèglement climatique. Mais surtout, elle nous offre un nouveau regard, permettant d’appréhender des modèles alternatifs, telles que l’économie circulaire ou la démocratie participative. Toutefois, n’oublions pas que les relations inter-sociales doivent surtout se doter d’une identité et d’une force qui ne soit pas uniquement contestataire. Pour que le désaccord donne lieu à une mutation, elle doit être accompagnée d’action et d’une transition.
Couper la tête au passé n’est pas et n’a jamais été une bonne solution afin d'amorcer un changement efficace, durable, et vertueux. Dès lors, il incombe aux nouveaux acteurs de participer aux mutations en cours, de les prolonger et de leur ajouter un cadre. C’est en s’inspirant des revendications du social et en les écoutant qu’une transition globale est possible et qu’un multilatéralisme social pourra être mis en place.
Sources
Livre et quatrième de couverture: https://www.cnrseditions.fr/catalogue/relations-internationales/inter-socialites/
Article du monde: https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/10/13/les-etats-sous-l-emprise-du-social_6055791_3232.html
Interview Youtube de Bertrand Badie : https://youtu.be/WYiby0ej8bY