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  • Writer's pictureVictor Peltier

La Turquie d’Erdogan : quelle place, quel rôle, quelles ambitions ?

Lundi 6 février 2023, le sud-est de la Turquie a été marqué par un violent séisme qui a fait plus de 30 000 morts. Suite à ce tragique évènement, de multiples critiques ont émergé à l’encontre du régime turc, notamment contre le président : Recep Tayyip Erdogan, au pouvoir en Turquie depuis 2003. Beaucoup reprochent son manque d’action contre les risques sismiques alors que celui-ci avait bénéficié du tremblement de terre de 1999 pour les élections de 2002. Ce séisme intervient dans un contexte très particulier, celui de la préparation aux élections présidentielles turques en juin 2023. Erdogan, au pouvoir depuis plus de 20 ans, ainsi que son parti l’AKP, sont actuellement très impopulaires au sein de la société turque notamment à cause de la crise économique que connaît le pays. Ces élections, bien qu’internes au pays, ont une grande réalité sur la scène internationale : la Turquie, depuis plusieurs années, s’affiche comme une nouvelle puissance dans l’ordre multipolaire qui a une influence dans les affaires géopolitiques du monde, comme l’a illustré le rôle d’arbitre qu’a pris la Turquie entre la Russie et l’Ukraine. Ce nouveau rôle de la Turquie est indissociable de son président actuel : Erdogan veut créer une Turquie forte et indépendante. Cependant, ce projet de créer une nouvelle Turquie dans les relations internationales connaît des limites dû à un manque de certains moyens d’Ankara et un besoin d’avoir des liens avec certaines puissances. Dès lors, quelle est la nouvelle place de la Turquie d’Erdogan dans le monde multipolaire ?



Une situation complexe avec l’Occident


Historiquement, la Turquie a de forts liens avec l’Occident. Cela a pu se voir avec sa présence dans le camp américain pendant la guerre froide avec son adhésion à l’OTAN en 1952 ou la demande turque de faire partie de l’UE en 1987. L’arrivée au pouvoir d’Erdogan en 2003 ne remet pas immédiatement en question la place de la Turquie dans le monde. Celui-ci essaiera même d’achever l’intégration de la Turquie à l’Union Européenne. Cette tentative n’aboutira pas d’une part car les dirigeants européens auront une certaine méfiance envers la Turquie mais surtout car la question chypriote, divisé en deux depuis que des forces turques ont pris le contrôle du nord de l’île, crée des tensions avec des pays membres de l’UE qui refuse de voir Ankara les rejoindre. Les choses changeront en 2013 avec les premiers signes de dérives autoritaires chez Erdogan qui pousseront les dirigeants occidentaux à prendre ses distances avec le président turc. De plus, une tentative de coup d'État a eu lieu en 2016, ce qui a conduit Erdogan à diriger plus fermement son pays et à basculer plus profondément dans l’autoritarisme. Celui-ci jugera ne pas avoir eu suffisamment de soutien de l’Occident et commencera aussi à se tourner vers d’autres pays. La Turquie connaît actuellement plusieurs tensions avec les pays occidentaux, notamment les pays de l’Union Européenne : le cas de de Chypre dont la situation reste inchangée ou les tensions avec la Grèce sur les frontières maritimes sont autant de sujets qui éloigne la Turquie de l’UE. De plus, Erdogan a un certain pouvoir sur l’Europe grâce à un accord passé en 2016 qui garantit un certain contrôle turc sur les migrants du Moyen-Orient afin de les empêcher d’aller jusqu’en Europe en les gardant à sa frontière. La Turquie a déjà utilisé cela pour faire pression sur l’Europe durant des négociations.


Un autre cas de tensions entre l’UE et la Turquie a lieu au niveau de la région de la Thrace occidental : une région grecque composée d’une minorité musulmane venant de Turquie victime d’une certaine ostracisation d’Athènes. Cette situation crée de nouvelles tensions avec Ankara qui essaie de s’imposer dans la région par l’influence, ce qui est dénoncé par la Grèce comme de l’ingérence. Tout cela indique clairement que l’intégration de la Turquie dans l’UE est aujourd’hui au point mort. De même, depuis l’arrivée au pouvoir de Joe Biden, une certaine distance peut se voir entre les deux pays, avec par exemple la décision de Biden de reconnaitre le génocide arménien pendant la première guerre mondiale, créant des tensions avec la Turquie. La Turquie conserve malgré tout de forts liens avec l’Occident. Le pays est situé à un endroit stratégique pour l’Europe servant notamment pour les échanges économiques avec les pays riverains de la Mer Noire mais aussi car assurant l’approvisionnement énergétique d’une partie du continent. De même, sa position stratégique est utile aux États-Unis militairement grâce à la base d’Incirlik pour les interventions américaines au Moyen-Orient comme ce fut le cas en 2001. Mais en contrepartie, la Turquie est aussi dépendante des pays occidentaux pour se développer : l’Europe reste le premier partenaire commercial de la Turquie et Ankara bénéficie grandement des fonds européens. De même, la Turquie ne peut pas se passer complètement des États-Unis, les sanctions économiques décidées par Donald Trump en 2018 avaient fait chuter de 20% la valeur de la livre turque.



Erdogan avec le président du conseil européen et la présidente de la commission européenne



Un rapprochement avec d’autres puissances, mais aussi certaines tensions


La Turquie se veut indépendante, cependant, le pays ne dispose pas de la puissance pour être complètement autonome et a besoin d’alliés. Cette volonté peut s’illustrer par le rapprochement de la Turquie avec d’autres puissances opposées au monde occidental, notamment la Russie et la Chine. La proximité entre la Turquie et la Russie a commencé dès la fin des années 90, Moscou ayant besoin de sécuriser son accès à la Mer Noire, vitale pour son économie. La création de gazoducs russes passant par le territoire turc ainsi que la vente de gaz à la Turquie vont renforcer cette relation, les deux étant dépendants l’un de l’autre. En 2016, après la tentative de coup d'État contre Erdogan, la Russie a manifesté son soutienauprès du président turc, contribuant à un rapprochement entre les deux pays. En 2017, Ankara achète des armes à Moscou alors qu’elle est membre de l’OTAN. De même, la Turquie s’approvisionne en énergie auprès de la Russie et de l’Iran malgré des tensions avec ce dernier, les deux pays voulant devenir la grande puissance du Moyen-Orient. Dans le même ordre d’idée, les relations commerciales entre la Chine et la Turquie ne cessent de s’intensifier : le nombre d’accords passé entre les deux pays augmente, notamment sur le commerce dans la Mer Noire.



Les présidents turc, russe et iranien après une conférence de presse à Ankara


Ce rapprochement de la Turquie avec de nouvelles puissances doit cependant être nuancé. La Turquie n’a pas trouvé de nouveaux partenaires fiables, il s’agit davantage d’alliances de circonstances au sein desquelles des tensions peuvent aussi être observées, en particulier avec l’Iran. Erdogan souhaite faire de la Turquie une puissance influente dans le nouvel ordre mondial qui puisse agir de façon indépendante. Pour cela, le pays affiche des volontés qualifiées de « néo-ottomanes ». Dans le cas de certains conflits, Moscou et Ankara soutiennent des camps différents, menant à des tensions entre les deux. C’est par exemple le cas dans le conflit caucasien entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan : la Russie cherche à se placer en tant qu’arbitre dans le conflit, considérant les deux pays comme faisant partie de sa sphère d’influence, alors que la Turquie soutient ouvertement l’Azerbaïdjan, notamment militairement, ce qui augmente l’influence d’Ankara dans la région mais va à l’encontre des volontés de Moscou. De même, le cas de la Syrie montre aussi une volonté d’expansion plus directe de l’influence turque avec des influences militaires en totale autonomie contre le régime syrien, allié de la Russie, et des forces kurdes, alliés de l’Occident, montrant ainsi une volonté d’indépendance vis-à-vis de ses alliés. La Turquie fait aussi de la vente d'armes pour augmenter son influence, principalement des drones. Ceux-ci sont surtout vendus en Afrique, témoin d’une volonté turque d’influence sur le continent africain face aux puissances occidentales, à l’instar de la Chine ou de la Russie. Cette stratégie, bien qu’efficace pour augmenter l’influence turc dans les pays voisins à en revanche des conséquences sur sa diplomatie. La Turquie est perçue aujourd’hui comme un pays peu fiable qui suit avant tout ses intérêts, ce qui peut se traduire par un manque de véritables alliés pour la Turquie.


Une autre stratégie d’Erdogan pour augmenter l’influence turque dans le monde est le soft power. Ce dernier peut prendre plusieurs formes avec par exemple la distribution de séries dont la Turquie est aujourd’hui l’un des plus importants créateurs. Cette distribution se fait principalement en Afrique mais aussi vers les Balkans, autre région où la Turquie essaie d’avoir une véritable influence. Autre levier pour exercer son soft-power : la langue. La Turquie essaie aujourd’hui de promouvoir le développement de la langue turque. Cela peut notamment se voir à travers le développement de l’Organisation des pays turcophones, organisation internationale qui regroupe la Turquie ainsi que plusieurs pays d’Asie centrale, une autre région du monde où la Russie et la Chine veulent s’imposer comme puissance dominant, montrant non seulement la volonté d’influence turque dans des espaces convoités mais aussi les limites des nouvelles alliances formées par la Turquie.

Erdogan, depuis son arrivée au pouvoir en Turquie, a donc voulu donner une nouvelle place à son pays dans l’ordre multipolaire du monde. Si cette politique a connu certains succès, ses ambitions se sont heurtées à certaines limites. Cependant, l’évolution du monde permet de donner une plus grande place à la Turquie, notamment pour servir d’arbitre entre l’Occident et la Russie grâce à son rôle et sa localisation géographique comme l’a montré le rôle turc durant la guerre en Ukraine. Malgré cela, les ambitions d’Erdogan pour la Turquie connaissent aussi des obstacles du fait de la situation interne du pays : la crise économique que connaît la Turquie depuis 2018 mais aussi une certaine instabilité, que ce soit par la situation à ses frontières ou les conflits entre l’Etat et les kurdes vivant en Turquie, sont autant de facteurs qui fragilisent le pays de l’intérieur.





Sources :


https://www.courrierinternational.com/article/turquie-il-est-arrive-avec-un-seisme-partira-t-il-avec-celui-ci-la-tension-grimpe-entre-erdogan-et-ses-opposants

https://www.revueconflits.com/russie-et-turquie-un-defi-a-loccident/

https://mondafrique.com/la-turquie-vendeur-darmes-majeur-en-afrique/

https://www.touteleurope.eu/l-ue-dans-le-monde/adhesion-de-la-turquie-a-l-union-europeenne-ou-en-est-on/

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