- Paolo Belet-Pongy
La ZEE, un enjeu loin d’être périphérique
Une Zone Economique Exclusive (ZEE) se définit comme un espace maritime sur lequel un Etat exerce une autorité souveraine quant à l’utilisation des ressources naturelles. C’est une bande de mer ou d’océan déployée entre les eaux territoriales et les eaux internationales, qui peut s’étendre au maximum sur 200 miles marins (370 km), même s’il est possible de négocier son extension. Née de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer en 1982, toutes les nations reconnues par l’ONU ayant un contact maritime possèdent une ZEE. Par exemple, les Etats-Unis qui n’ont pas ratifié la convention sont pourvues de la plus importante ZEE. Ressource exclusive pour un Etat, elle se retrouve au coeur des enjeux économiques et politiques. Entre indépendance et affirmation de la souveraineté, la ZEE représente bien plus qu’un bout de mer rattaché à un pays. Dès lors, elle peut être le sujet de conflits comme d’accords diplomatiques.
La ZEE, un atout d’envergure inégalement partagé
Tout d’abord, on peut considérer la ZEE comme un indicateur de puissance puisqu’elle montre la présence à l’international de certains Etats. Dans le cas des Etats-Unis, la ZEE est présente principalement en Amérique du Nord et dans l’océan Pacifique, ce qui permet un contrôle important des activités économiques (extraction de ressources pétrolières et minières, activité halieutique…). Si l’on ajoute à cela le vaste réseau de bases militaires américaines, alors on obtient un maillage territorial important et diffus, qui s’étend sur les cinq continents et à travers les cinq océans. De fait, la ZEE peut constituer une force de contrôle. Elle peut recouvrir des points de passage importants, comme des détroits par exemple. Il est ainsi possible d’affirmer qu’il y a corrélation entre puissance militaire et ZEE importante. « L’indicateur ZEE » est toutefois à relativiser puisque des puissances de premier plan comme l’Allemagne ou la Corée du Sud n’en possèdent pas de très importante. De même, certains Etats peu puissants économiquement comme la Micronésie en possèdent une grande (3 000 000 km²).
Par ailleurs, la ZEE représente un outil de puissance pour les Etats qui en sont titulaires. Parmi les dix plus grandes ZEE, on retrouve de nombreuses puissances économiques mondiales avec en tête les Etats-Unis, suivis par la France, le Royaume-Uni, le Japon et la Chine. En effet, posséder une ZEE d’envergure permet une exploitation marine importante, que ce soit pour la pêche ou l’extraction pétrolière ou de minéraux tels le sel, le magnésium, l’or ou l’étain. La Chine, en possession d’une ZEE de près de 4 000 000 de km², est le premier producteur et exportateur de produits de la mer. En 2019, on estimait à près de 14 milliards de dollar la valeur de ces exportations. D’autres puissances comme les Etats-Unis ou la Russie privilégient la production de ressources énergétiques et utilisent principalement leur ZEE à ces fins là. Ces Etats sont respectivement 1er et 3ème pour ce qui est de la production pétrolière et respectivement 2ème et 1er pour la production de gaz. En France métropolitaine, la ZEE située au large de la mer d’Iroise est porteuse de nombreux parcs éoliens nourris des vents les plus forts du monde et dont la production énergétique sert une partie de l’Ouest français. Enfin, l’Australie et la Nouvelle-Zélande font principalement l’extraction de métaux rares, en tête le cobalt, la présence d’une croute de cobalt en mer de Tasman ayant polarisé les activités locales. Cependant, toutes les ZEE ne sont pas également exploitées, conduisant à une dichotomie entre « ZEE ressource » (exploitée) et « ZEE gisement » (non exploitée). La France en est un très bon exemple. La ZEE métropolitaine est en effet très consommée et mise à contribution par les activités humaines, tandis que celles situées en Polynésie française ou dans l’océan indien sont quasiment inexploitées que ce soit pour la production énergétique, pour les activités halieutiques ou pour le contrôle des espaces maritimes. D’autre part, une large Zone Economique Exclusive peut être vecteur d’influence. Comme décrit ci-dessus, une importante ZEE peut être synonyme de présence internationale et en cela constituer un moyen de diffuser ses modèles, ses méthodes (il existe plusieurs méthodes d’extraction minières par exemple) et sa législation.

Le droit maritime, un point chaud de la diplomatie internationale
Aujourd’hui, la ZEE fait de plus en plus l’objet de tensions diplomatiques. Pour certains Etats en développement, la réglementation des ZEE a en partie pour but de favoriser les puissances occidentales. En effet, ayant pour la plupart un passé colonial important, celles-ci possèdent des territoires ultra-marins, qui depuis 1982 leurs permettent d’exercer une influence sans concurrence. Par exemple, seules certaines nations sont présentes en Antarctique et peuvent ainsi bénéficier de la ZEE associée. On retrouve là aussi des inégalités en fonction des continents : on recense douze Etats européens, trois Etats américains, trois Etats asiatiques, deux Etats océaniens et un seul Etat africain (l’Afrique du sud). En outre, certaines pays possèdent de petites îles qui leur permettent l’octroie de larges ZEE. Avec une superficie de moins de 2 km², l’île de Clipperton, située dans l’océan Pacifique, constitue pour la France un gisement de ressources de 435 000 km² où seul le droit français s’applique, alors même que personne n’y habite.
Le fait de posséder ces « rochers » marins a donné des idées à certains pays comme la Chine qui depuis quelques années a lancé la construction d’îlots de sable au large de la mer de Chine. Si Xi Jinping prétend que ce projet voit le jour dans le but d’améliorer la surveillance et la prévision météorologique, les Etats voisins et les Etats-Unis y voient une tentative d’étendre la souveraineté chinoise en mer de Chine — espace maritime revendiqué par le gouvernement chinois depuis 1949. Le voisin nippon est particulièrement inquiet et surveille la situation de près. Le gouvernement japonais craint un gain d’influence majeur pour la Chine en Asie de l’Est et du Sud-Est car l’extension de l’influence est toujours précédée de l’extension territoriale. Il s’ajoute à cela le retour affirmé des ambitions chinoises à Taïwan, où, certes le but premier est de récupérer ce territoire « perdu », mais où l’enjeu stratégique est plus important. Avec Taïwan, la Chine récupèrerait un avant poste en mer de Chine méridionale, qui plus est des mains américaines. Enfin, sa ZEE serait également étendue, ce qui pourrait renforcer la position de leader que détient la Chine sur le marché des exportations des produits de la mer. On trouve un autre exemple de tensions dans le cas franco-malgache. En effet, la présence de nombreux petits îlots réduit significativement la ZEE de Madagascar. Ainsi pour une superficie terrestre équivalente à la France, soit un peu moins de 600 000 km², Madagascar possède une ZEE de 1 200 000 km², alors que les petits îles françaises, pour une surface terrestre agglomérée de 3 500 km² possèdent une ZEE de 600 000 km². On comprend pourquoi le gouvernement malgache crie à l’injustice et réclame depuis plusieurs années maintenant aux instances internationales l’extension de sa Zone Economique Exclusive. Une partie de cette extension pourrait se faire au détriment de la ZEE ultramarine française, notamment car Madagascar manque de ressources halieutiques et parce que les modèles de pêche à La Réunion ou à Mayotte sont essentiellement artisanaux. La requête malgache a objectivement peu de chance d’aboutir. Néanmoins, il existe aussi des cas d’accords bilatéraux. C’est le cas d’un accord entre le Sénégal et la Mauritanie conclu en 2018 et dans lequel la Mauritanie autorise les pêcheurs sénégalais (en manque de ressources halieutiques) à pêcher dans leurs eaux contre un versement de 15 euros par tonne de poisson péchés (10 pris en charge par les pêcheurs, 5 par l’Etat sénégalais).
Le Brésil tente, lui, d’étendre l’ « Amazonie bleue » (sa ZEE) vers l’Est à force de négociations. Une telle requête témoigne de l’importance que revêt les espaces maritimes, notamment pour les puissances émergentes. Les arguments brésiliens sont principalement portés sur la volonté d’un meilleur contrôle de l’Atlantique Sud-Ouest et sur l’augmentation de l’activité halieutique. Le gouvernement brésilien espère avec cette extension augmenter d’au moins 50% ses exportations de produits de la mer pour atteindre deux milliard de dollar. Toutefois, ce genre de requête n’aboutit pas toujours. Le Brésil entend jouer de sa position de puissance régionale. On voit là aussi une forme d’injustice entre les Etats, étant donné que tous ne peuvent faire pression sur la Communauté internationale.
Le droit maritime représente aujourd’hui un enjeu majeur à un moment où les PED (Pays en développement) et les NPI (Nouveaux pays industrialisés) s’affirment de plus en plus sur la scène internationale. Avec cela, la contestation de l’autorité occidentale et la volonté d’acquérir une certaine autonomie participent à la genèse de tensions, comme c’est le cas à Madagascar. Ce phénomène a en partie été accéléré par la crise du Covid-19 où l’hyper-mondialisation et l’interdépendance ont mis en exergue les difficultés économiques et sociales auxquelles sont confrontés tous les pays. En outre, avec l’émergence d’une conscience écologique dans le monde, une partie des rôles des ZEE peuvent être remis en cause. D’après Greenpeace, l’extraction minière cause des dommages irréversibles sur la biodiversité sous-marine qui constitue d’ailleurs un des meilleurs alliés de l’homme dans sa lutte contre le réchauffement climatique. Selon eux, la pêche de masse qui a lieu notamment en Chine détruit des écosystèmes de manière quasi irréversibles alors même que les quantités pêchées sont généralement au-dessus de la demande, ce qui conduit à du gaspillage massif.
Sitographie :
- https://fr.wikipedia.org/wiki/Zone_économique_exclusive#Classement_des_ZEE_par_superficie
- https://www.greenpeace.fr/5-raisons-dempecher-lextraction-miniere-en-eaux-profondes/
- https://www.geostrategia.fr/zone-economique-exclusive-francaise/
- https://www.techniques-ingenieur.fr/actualite/articles/31250-31250/
- https://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/zone-economique-exclusive-zee