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  • Maxence Bonnet

Le printemps bolivien : La crise post-électorale de 2019

Updated: Feb 18, 2021



I. Aux origines de la crise Pour comprendre comment le malaise bolivien a abouti sur l’une des plus violentes crises d’un pays pourtant coutumier du fait, il faut tout essentiellement comprendre qu’à l’origine de la crise se trouve la trahison d’Evo Morales, président depuis 2006 de ce pays enclavé entre le Brésil et l’Argentine, coupé du Pacifique par le Pérou et le Chili. En février 2016, un référendum de modification de la constitution qui lui permettrait de se présenter pour la troisième fois aux élections présidentielles est proposé aux boliviens. Bien que refusée par 51,5% des scrutins, cette opportunité est tout de même saisie envers et contre la volonté populaire. La constitution est violée et le peuple trahi.


Evo Morales se représente en octobre 2019 et est réélu au premier tour à la majorité absolue. Les mobilisations massives à travers le pays, les grèves, les violences, ainsi que les actions de mutineries au sein des forces de police ne sont alors que la juste expression d’une vaste résistance populaire souhaitant faire un pas en avant en faveur de la démocratie face à un énième coup de force politique. Claude Le Gouill, spécialiste de la Bolivie analyse en ces termes cette situation insurrectionnelle : « Des habitants lambda du pays étaient excédés face à la fraude électorale avérée. C’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. » II. Un départ précipité


L’armée et la police retirent leur soutien à Evo Morales et l’appellent alors à démissionner « pour le bien de la Bolivie ». Face à une double pression populaire et constitutionnelle, le président déchu s’exile au Mexique où il obtient l’asile politique. Christine Delfour, Professeur des Universités à Lille 3 CDG analyse de manière laconique : « Je suis assez choquée du fait qu'il ait accepté de se "tirer" de cette façon. Peut-être a-t-il pris peur ». Quoiqu’il en soit son départ précipité pose de nombreuses questions et inquiète autant les boliviens que les observateurs internationaux. Si cette fin précipitée est choquante c’est que depuis 2016, la présidence du charismatique leader du MAS (Movimento al Socialismo) était pourtant positive après treize ans de présidence (2006-2019). Faisant fi de quelques points, soulignons son action en faveur de la pauvreté extrême (qui passe de 36,7% en 2005 à 16,8% en 2015, selon l'ONU) ou plus généralement pour l’économie nationale, dont le PNB a été multiplié par 4 sur cette même période (de 9 à 38,5 milliards USD), selon la géographe Laetitia Perrier-Bruslé, maître de conférences à l'université de Nancy, qui reprend des chiffres du FMI. III. Une détonation politique et sociale

En exil, Evo Morales dénonce un coup d'État qui n’existe cependant pas : la vice-présidente du Sénat Jeanine Àñez issue des rangs de l’opposition s’est autoproclamée présidente par intérim le 12 novembre, dans le respect des forces constitutionnelles, soutenue par l’armée et les forces de droite du pays. Le pays s’embrase et voit essaimer des émeutes urbaines dans les grandes villes, théâtres des affrontements armés qui opposent les pro-Morales et l’opposition. Les forces de l’ordre sont violemment prises à partie, dépassés par les exactions commises par des manifestants ultra-violents qui expriment leur désaccord dans le pillage et la mise à feu de casernes, entreprises et magasins. La Paz, capitale, est le centre névralgique des contestations. La surenchère de violence est inévitable dans un processus politique grippé, aussi l’armée est déployée dans les rues pour appuyer la police afin de mener des actions conjointes contre le vandalisme… IV. Le whipala : miroir de la crise bolivienne

C’est un drapeau en damier multicolore qui ressurgit lors des manifestations en Amérique Latine cet automne. Ce mot vient de la culture amérindienne et signifie « la voix du triomphe fluctuant dans le vent ». Evo Morales, en tant que premier Président indigène d’Amérique du sud, fait de ce symbole un composant officiel de « l’État plurinational de Bolivie » et l’inscrit dans la constitution. Ce symbole est donc l’incarnation physique de la « bolivianité plurielle » que souhaite promouvoir le MAS dans un pays divisé ou de vieilles tensions ethniques sommeillent. Dès lors, lorsqu’Evo Morales fuit le pays, ce symbole devient le centre d’une lutte ou l’opposition le piétine, on l’arrache des uniformes et des bâtiments, on le brûle même. Les partisans du président en font un symbole de résistance, à travers le slogan « El wiphala no se toca », traduisez « On ne touche pas au wiphala ». La Bolivie compte près de 40% d’habitants d’origine amérindienne, et ce drapeau est donc évocateur de la lutte et de la résistance indigène, de leur pleine et entière représentation politique. Et si la conservatrice Jeanine Añez, a réaffirmé que le drapeau était un symbole patriotique à ses yeux, elle a préféré au wiphala un autre symbole quand elle est entrée dans le palais présidentiel : la bible.

V. Alors, coup d’État ou lueur d’espoir ?

Si pour Evo Morales c’est « le coup d’État le plus astucieux et le plus odieux de l’histoire », et si l’on se plaît à admettre qu’il y a eu un coup d’État il faut cependant nuancer. Ce n’est pas un coup d’État au sens « traditionnel » car l’armée n’a pas pris le pouvoir, contrairement aux dictatures militaires de 1964 à 1982, qui -elles- pouvaient être qualifiées ainsi. Le bon sens nous impose donc d’affirmer fermement que non, ce n’est pas un coup d’État. Sur un large fond de contestation, dans un climat social qui paralyse le pays par des grèves reconduites et des manifestations quasi-permanentes, c’est bel et bien la pression insoutenable du peuple et des forces de sécurité qui a poussé Evo Morales à partir. Les nombreuses irrégularités commises dans le scrutin et les arrestations de hauts dirigeants sur ordre du parquet sont dans ce sens une justification légitime à pousser vers la sortie un gouvernement dont les agissements lèsent le peuple. Evo Morales a lui-même précipité sa chute par la violation flagrante de la Constitution en 2016. De surcroit, l’Armée n’a eu aucun rôle dans la chute d’Evo Morales, se contentant d’observer une prudente neutralité, sauf en cas d’extrême nécessité lorsque le Haut Commandement, devant agir face au risque d’une surenchère de violence par les organisations liées au MAS préconise la démission du président.

VI. Un calme de façade dans un pays divisé

Aujourd’hui encore, la polarisation est extrême. Près de la moitié du pays demeure attachée à Evo Morales, qui s’est retranché en Argentine. Et les tensions ne sont pas près de disparaître, en témoigne la récente déclaration de Mme Añez le 14 décembre de l’émission imminente d’un mandat d’arrêt contre l’ancien président. Celui-ci choisit la voie de l’affrontement et rétorque sur Twitter : « Ça ne me fait pas peur, tant que je serai en vie, je continuerai avec encore plus de force le combat politique et idéologique pour une Bolivie libre et souveraine ». Ce mandat d’arrêt survient à la suite d’une plainte déposée par le ministre de l’intérieur qui accusait l’ancien président de « sédition et terrorisme » pour avoir incité ses partisans à mettre en place des blocages autour de La Paz. Si la Bolivie éloigne temporairement la crise, il est à prévoir que ce retour relatif au calme ne s’inscrive réellement dans la durée. Les partisans de Morales (environ 45% de la population) considèrent que le pouvoir leur a été volé et, galvanisés par le départ de leur idole, ils ne semblent pas prêt à se soumettre à un gouvernement avec qui tous les oppose. De plus, le pays est hyperpolarisé politiquement. Alors la communauté internationale craint le « no deal », et sans résolution dans ces cas-là, la violence politique peut se déployer. Les habitants écoutés sur place comme la communauté internationale n’écartent pas la funeste hypothèse d’une guerre civile. Laetitia Perrier-Bruslé estime que « l’opposition à Evo Morales est très complexe ». Selon elle « elle va des représentants des riches très à droite à des intellectuels de gauche, ou des populations indigènes des terres basses estimant qu'il n'a pas respecté leur territoire, à la petite bourgeoisie enrichie. » De plus, « outre le leader d'extrême droite Luis Fernando Camacho, qui incarne une base raciste qui ressurgit, il y a aussi des logiques corporatistes ou professionnelles », complète Claude Le Gouill. Il cite « les producteurs de coca qui se jugeaient malmenés par le gouvernement », ou encore les régions qui ne voulaient plus « partager la rente bâtie sur du gaz ou du lithium ».

VII. Et après ?

Le tribunal suprême électoral a annoncé que les Boliviens désigneront leur président le 3 mai, soit six mois après l’élection controversée à l’origine de la violente révolte sociale. Le président du TSE, Salvador Roméo, a annoncé ce vendredi 3 janvier en conférence de presse : « Dimanche 3 mai, les citoyens voteront pour élire la présidence et l’Assemblée législative » Le contexte international et diplomatique reste -malgré un éclaircissement démocratique- très tendu. Les relations du nouveau gouvernement de La Paz avec Mexico et Madrid sont exécrables, depuis que le président mexicains López Obrador a décidé d’accorder l’asile à Evo Morales et à des membres de son gouvernement, tandis que Jeanine Àñez reproche à l’Espagne d’avoir « tenté d’entrer subrepticement dans la représentation diplomatique mexicaine » en exfiltrant l’ancien bras droit de Morales à l’ambassade espagnole au Mexique. Sur le terrain cette crispation diplomatique est foudroyante : l’ambassadrice du Mexique et deux diplomates espagnols ont été expulsés de Bolivie et trois diplomates boliviens ont été chassés d’Espagne en représailles… À ces éléments de géopolitique interne, ajoutons que la Bolivie d’Evo Morales n’est pas isolée, se trouvant par exemple proche des protagonistes du « socialisme du XXème siècle », comme le Venezuela et Cuba. De plus des accords de coopération plus ou moins importants existent avec l’Iran, la Russie ou encore la Chine qui s’est immiscée dans l’économie bolivienne et y participe de manière non négligeable. Nous ne saurions dès lors nous risquer à envisager l’avenir de ces relations. Concluons en soulignant qu’en Occident, la chute de Morales est majoritairement acceptée comme la juste expression de la volonté populaire.

L’Union Européenne affirme à travers la voix de la haute- représentante de l’Union pour la politique étrangère, Federica Mogherini que « l’UE soutient une solution institutionnelle qui permette qu’il existe un gouvernement intérimaire qui prépare de nouvelles élections et évite un vide de pouvoir qui aurait des conséquences pour tout le pays », tandis que la ministre des affaires étrangères canadienne Chrystia Freeland déclare « appuyer la Bolivie et la volonté démocratique de son peuple ». Enfin aux Etats-Unis, Donald Trump applaudi le renversement de Morales et se réjouit d’un « pas en avant significatif pour la démocratie » dans les Amériques. Tous ont reconnu l’accession au pouvoir de Jeanine Añez.

Sources :

· Le monde

· Revue Conflits

· Diplomatie.gouv.fr

· France Culture

· Libération

· Contrepoints

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